Du changeur au banquier.
Pour avoir lu ou suivi la célèbre saga de Maurice Druon, Les Rois Maudits, vous avez sûrement en mémoire les nombreuses interventions des banquiers Juifs Lombards et Italiens, tellement malmenés par Philippe le Bel.
Le royaume était dans la misère, et ils étaient riches; il les exploitera, confisquera leurs biens et leur argent, pour finalement les bannir de France.
Leur vocation principale était alors de prêter de l’argent, mais ils pratiquaient des taux que l’on jugerait indécents, et qui se terminaient trop souvent par la ruine de l’emprunteur.
L’usure était une pratique depuis longtemps condamnée par l’Eglise, et par un édit de Charlemagne. Produire de l’argent par de l’argent était considéré comme du vol, puisque seul le travail méritait salaire.
Mais bien sur, et malgré ces interdits, l’usure existait parce qu’elle était vieille comme le monde et qu’elle était
nécessaire.
Quant aux changeurs, ils étaient déjà depuis longtemps influents sur tout le bassin méditerranéen, faisaient circuler la monnaie, changeaient les devises, achetaient et vendaient l’or, prêtaient contre intérêt. C’étaient nos premiers banquiers, appelés alors «changeurs».
Comme la plupart, c’est une profession qui s’exerçait en plein air, et qui nécessitait d’accrocher le chaland.
Leur seul comptoir de travail était éventuellement une petite table pliante, mais essentiellement un banc court qu’ils portaient avec eux et qu’ils partageaient avec leur client pour parler affaire et opérer une transaction.
Le seul outil indispensable: un inoffensif « peson », petite balance à deux plateaux d’une grande précision, mais qui pouvait aussi être une « dague de changeur », un astucieux combiné de poignard de défense et de balance à peser. La lame rétractable et crantée indiquait le poids déposé sur le plateau de la balance.
Point de boutique donc, point de vitrine, tout leur trésor était dans leur poche, et dans leur besace accrochée à l’épaule. Aussi étaient-ils bien souvent accompagné d’un ou deux gardes du corps, musclés et armés d’un lourd gourdin.
On ne les rencontrait guère que dans les grandes villes, les lieux de passage et de marché.
Les ors et les façades somptueuses de nos banques actuelles manquent un peu de modestie !
Ils se disaient pauvres et avaient pour seule possession leur banc de bois. Et banc, se dit en Italien
banca, nos changeurs sont italiens, le mot en se francisant deviendra Banque et les propriétaires de banc deviendront des banquiers !
A Paris, à l’instigation du pouvoir, qui dès le 12è siècle voulait déjà les contrôler, ils s’étaient regroupés pour faciliter les rencontres mais aussi pour mieux se défendre.
L’or a toujours fasciné les voleurs !
Un pont, avec un ou deux hommes de main à chaque extrémité, était le lieu idéal pour éviter le vol et la rapine. Installés côte à côte sur leurs petits bancs, on retrouvera nos changeurs sur le « Grand Pont » qui sera bien vite rebaptisé le pont aux changeurs, puis le Pont au Change. Pont de bois surmonté de boutiques, il brûlera en 1621 et sera reconstruit en maçonnerie. Il porte toujours le nom de Pont au Change, et réunit l’ile de la Cité à la place du Châtelet
Pour la petite histoire, lorsqu’un changeur ne pouvait plus faire face à ses engagements, on cassait symboliquement son banc, ce qui donnait en Français: banc cassé, en Italien «
banca rotta» et qui a fait notre mot banqueroute.